Cas d'étude : Le « cabinet secret » du Recueil

Au sein des onze volumes qui composent le recueil des dessins de Muret, l'un a un statut particulier, que rien ne signale pourtant de l'extérieur. Le recueil n° 9, en effet, rassemble dans sa grande majorité des planches traitant de sujets érotiques. Placé au milieu des autres volumes, il forme une sorte de cabinet secret, comme la pièce qui au musée archéologique de Naples n'était accessible qu'aux visiteurs avisés, ou d' « Enfer » dans le jargon de la Bibliothèque nationale. On sait qu’au Cabinet des médailles existait un « meuble des érotiques » (qu'Anatole Chabouillet montre à Charles Sauvageot le 8 mars 1853 selon le registre des visiteurs).

On ne sait pas si le dessinateur lui-même a opéré ce choix, ou si ce sont les bibliothécaires du Cabinet des médailles qui, au moment de la reliure de l'ensemble des planches volantes, ont ainsi fait ce regroupement qui permettait de préserver la pudeur de certains lecteurs. Il est possible que la deuxième solution soit la bonne, car le partage n'est pas parfait, et un certain nombre de satyres ithyphalliques ou de couples enlacés se trouvent dans d'autres volumes.

En tous cas, l’importance de cet ensemble, notamment autour de la représentation du phallus, était connue de ses contemporains comme le révèle Champfleury. Dans son Histoire de la caricature antique, parue en 1865, il évoque en note :

Un esprit curieux, dessinateur remarquable, qu’il ne m’est pas permis de nommer, a consacré une partie de sa vie à recueillir, d'après les monuments antiques, tout ce qui a rapport au phallus. Il faut espérer qu'il publiera un jour ses dessins avec des commentaires. (p. 139 n. 1)

Le nom que la bienséance l’empêchait de révéler est donné dans la deuxième édition de l’ouvrage, en 1867, soit après la mort du dessinateur. La note est légèrement modifiée :

Un esprit curieux, dessinateur remarquable, M. Muret, du cabinet des médailles, avait consacré une partie de sa vie à recueillir, d'après les monuments antiques, tout ce qui a rapport au phallus. Il faut espérer qu'on publiera un jour ses dessins. (p. 153 n.1)

L’ensemble est en effet conséquent. Rappelons que Muret a été formé, lors de l’élaboration de ses Monuments des arts du dessin chez les peuples tant anciens que modernes, auprès de Vivant Denon, par ailleurs auteur libertin et qui a laissé des dessins consacrés aux Priapées (Dupuy-Vacher 2007, n°39-39). Au contraire, Raoul-Rochette était un royaliste très croyant, qui voyait les représentations osées de l’Antiquité comme un signe de corruption morale et d’obscénité (Perrot 1906, p. 683). Ainsi, il explique, dans le Choix de peintures de Pompéi (1844-1851, pl. I), à propos des amours de Jupiter :

Les sages de l’Antiquité avaient donc compris de quel danger pouvaient être, pour les mœurs publiques, les exemples d’incontinence et de dérèglement donnés par les dieux eux-mêmes, puis chantés par les poètes sur tous les tons, représentés par les artistes sous toutes les formes, et traduits sur la scène ; de manière que la société tout entière se trouvait, pour ainsi dire assiégée en tout temps et en tout lieu par ces sortes d’images. (p. 6)

Le texte avait déjà paru dans le Journal des Savants, en 1835, intitulé « De la pornographie ou des peintures licencieuses chez les Grecs » (p. 717-732).

Malgré sa désapprobation, le sujet l’occupait encore à la fin de sa vie, comme le révèle une lettre qu’E. Gerhard lui adresse de Berlin le 12 février 1854 :

Un billet que je vous adressais il y a deux mois à présent pris par l’entremise du ministère des affaires étrangères, contenant l’empreinte d’une curieuse pierre gravée d’argument phallique, sera peut-être arrivée avant votre retour d’Italie ; j’espère cependant que cet envoi vous sera enfin parvenu. Je vous l’avais fait dans l’idée que votre série pornographique se verra toujours complétée au but de la publication promise. (Archives de l’Institut, Ms2065/64).

C’est donc peut-être là encore en relation avec le savant que Muret a constitué ses séries sur les représentations phalliques.

La céramique grecque

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Ces images se trouvent sur tous types de supports, mais on peut voir dégager de grands ensembles. Une grande partie des céramiques de la période grecque sont des vases attiques à figures noires et surtout à figures rouges : les ateliers de la fin de la période archaïque ont produit des séries importantes de coupes avec des scènes de séduction, des couples en pleins ébats, et parfois des personnages masculins ou féminins seuls avec des accessoires et dans des positions parfois acrobatiques. On remarque aussi un certain nombre de satyres ithypalliques dont le caractère lubrique est toujours plus ou moins explicite.

La céramique romaine

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La vaisselle de la période romaine offre également un certain nombre de scènes d'accouplement, de satyres ou de Pans lubriques ; il s'agit le plus souvent de céramique sigillée d'une couleur rouge caractéristique avec un décor en relief, produite et utilisée largement pendant la période impériale. Plusieurs ateliers importants étaient situés en Gaule. Ils ont le plus souvent été conservés sous forme de fragments, très courants dans toutes les collections archéologiques de France. Le même type d’image se retrouve aussi sur le médaillon des lampes à huile de la même époque, que l’on a retrouvé dans tout l’Empire.

Les amulettes phalliques

  • Vol. n. 9

    amulette

    Homme assis au sexe démesuré. Un anneau de suspension sur sa tête....

  • Vol. n. 9

    amulette

    Homme-phallus assis, le tronc et la tête, les bras en forme de phallus. Bél...

  • Vol. n. 9

    amulette

    Phallus muni de jambes en course, tendu en arrière ; bélière de suspension....

  • Vol. n. 9

    amulette

    Phallus muni de pattes arrière, en train de se gratter....

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On a retrouvé à partir de l'époque moderne beaucoup de petites amulettes, le plus souvent en bronze, figurant un phallus, fascinum. Elles avaient un pourvoir apotropaïque et étaient destinées à protéger celle ou celui qui les portaient, enfants ou adultes.

Sur certaines, un poing fermé, avec le pouce sortant entre l'index et le majeur, était accolé au phallus : il s'agit d'une manu fica. Cet autre symbole évoquant les parties génitales servait aussi de protection : il était par exemple fait, lors de la fête des Lemuria, par le père de famille pour éloigner les mauvais esprits. Ce signe est encore utilisé, jusqu'à aujourd'hui et avec des significations diverses, dans certaines régions d'Europe, mais aussi d'Asie et d'Amérique.

On a aussi retrouvé, notamment à Pompéi et Herculanum, de plus grands phallus en bronze, ailés, parfois avec des pattes animales, retenus par une chaîne, et où étaient attachées de petites cloches dont le tintement participait au caractère protecteur pour la maison (on les appelle tintinnabulum).

 

Cécile Colonna

Pour citer cet article : Cécile Colonna, « Le 'cabinet secret' du Recueil », dans Digital Muret, mis en ligne le 03/10/2022, https://digitalmuret.inha.fr/s/digital-muret/page/cabinet-secret

 

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Les planches "érotiques" du volume 9

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