Provenances archéologiques dans le Recueil de Muret

Des découvertes en France

Dans ses légendes, Muret donne parfois des renseignements sur les circonstances de la découverte des objets dessinés : date, lieu, nom du fouilleur etc. Ces données peuvent être assez précises, comme cette découverte rouennaise :

Tombeau gallo-romain en pierre, découvert à Rouen en 1833, dans la rue Roulland (quartier Saint Gervais). Ce tombeau qui est garni de son couvercle en dos d'âne est orné sur la face antérieure de deux têtes ou masques et de boucliers et d'enseignes enlacés, sur le côté de draperies. On y a trouvé quelques ossements et un fragment d'étoffe broché en or. Longueur 2m11. Largeur 0m74. Hauteur sans le couvercle 60. 

Outre le site précis, l’année, une description du sarcophage et de son contenu, les dimensions sont aussi indiquées.

On peut voir aussi sur l'objet n°22 de cette planche (en bas au centre), un pendentif en pierre sans décor, sans doute le plus simple de l'ensemble, mais le mieux contextualisé :

Pendant d’un collier composé de dix-sept pièces à peu près semblables à celle-ci : trouvé en 1836 en creusant les fondations d’un moulin à vent au village de Dinammer, commune de Trédias, canton de Gugon, arrondt de Dinan, dans un sarcophage de granit dans lequel se trouvait un squelette, des verreries grossières et le collier dont un des pendants est ici représenté.

On a même parfois le nom des découvreurs et/ou des propriétaires, comme dans le cas des bracelets protohistoriques de Gournay :

Bracelets trouvés au pont de Gournay, commune de Gournay (Seine et Marne), dans un terrain situé sur la rive droite de la Marne, entre le moulin de Chelles et le château de Bellisle à 50 m à l'est du cours d'eau qui descend de Villeneuve aux armes dans la Marne, dans les travaux du canal de la Marne au Rhin le 24 novembre 1848, par Pierre Maillot et Augustin Lamaire, terrassiers domiciliés à Paris. 

Le même texte est répété pour cette planche contenant l'image de trois torques de même provenance.

On apprend encore pour cette planche la provenance des trois figurines dessinées :

n°1 : Terre cuite trouvée à Brequencque faubourg de Boulogne sur Mer (Musée de Boulogne)

n°2 et 3 : Terres cuites trouvées à Hieromont en juillet 1850 dans les fondations d’un temple romain. Ses statuettes sont en la possession de Monsieur Otmann, receveur des douanes à Fagny.

Les circonstances les plus précises concernent, on le voit, des objets trouvés en France du vivant du dessinateur, pour lesquels il pouvait aisément avoir des informations détaillées de première main, de la part des fouilleurs, des acteurs des sociétés savantes locales ou des collectionneurs attentifs aux contextes de découverte des œuvres. Dans le cas des objets rapportés de l’étranger, on possède rarement plus précis que le site ou la région de découverte, avec une fiabilité souvent difficile à déterminée, à l’époque comme aujourd’hui.

Les vases en verre et argent de la collection Beugnot

Un objet fait exception : un vase de verre, enchassé entre deux vases d'argent, découvert en Italie et appartenant à la collection de Gustave Beugnot. Les trois contenants sont représentés en haut de cette planche, accompagnés au revers d'une longue explication :

Vase de verre entre deux vases d'argents munis de leurs couvercles. Le premier représente deux biges conduits par de petits génies ailés ; le fond de cette scène est doré. Le second est de verre et sans couvercle ; le troisième est couvert d'ornements qui n'offrent rien de remarquable. Lors de la découverte, ils renfermaient de la barbe. Ce petit monument a été trouvé en 1832 dans un tombeau près de la porte Salara, à Rome. C'est probablement un de ces vases dans lesquels les jeunes riches enfermaient leurs premières barbes, qu'ils consacraient à quelque divinité, ordinairement aux dieux lares. Néron offrit à Jupiter Capitolin sa première barbe dans un coffret d'or, enrichi de perles très précieuses. Julius Pollux dit que les jeunes grecs aristocrates consacraient aussi leur première barbe aux dieux, à Apollon en particulier, et aux fleuves. (v. Magasin encyclopédique, p. 424) T.I.

Muret ne donne pas la source de ces renseignements très précis ; mais on la connait grâce à un article de Raoul-Rochette de 1838, où il mentionne les trois vases :

Ce monument curieux, et encore unique dans son genre, appartient à M. le vicomte Ad. Beugnot, qui en fit à Rome l'acquisition, au moment où il venait d'être découvert de la manière que j'ai dite, et qui m'a permis de le publier. (Raoul-Rochette, « Troisième Mémoire sur les Antiquités chrétiennes des Catacombes : Objets déposés dans les tombeaux antiques, qui se retrouvent en tout ou en partie dans les cimetières chrétiens », Mémoires de l’Institut de France, 1838, 13, 2, p. 529‑788, p. 663, pl. VIII 5 et 5a)

C'est donc Beugnot lui-même, ayant peut-être assisté à la découverte en Rome, en tout cas ayant acquis les objets sur place, qui a donné les informations à Raoul-Rochette, avec la permisssion de les publier. Il est possible que Muret ait aussi obtenu ces détails comme la permission de les dessiner de la part du collectionneur. Il se peut aussi que Muret se soit contenté de reprendre les indications de l’article publié, et qu'il ait dessiné les objets lors de leur passage en vente aux enchère. Les vases figurent en effet dans la vente de la collection Beugnot en 1840, où ils sont achetés par le marchand Rollin ; on en perd ensuite leur trace.

Suivre l’actualité des découvertes

Muret précise les dates de découverte dans ses légendes pour 147 objets. Elles s’échelonnent de 1709 à 1862, de la découverte d’amulettes phalliques à Utrecht à celle d’une figurine de banqueteuse de Camiros de Rhodes. Cependant, la plupart des dates de découvertes mentionnées sont contemporaines de l’activité de Muret, dans les années 1830-1850, ce qui montre son attachement à suivre et à documenter l’actualité archéologique de son temps. Cela se voit aussi dans le nombre de dessins, sans date ni provenance systématiquement précisée, des nouveautés archéologiques du jour : les bronzes, bijoux et vases des tombes d’Étrurie, les fibules mérovingiennes trouvées en France, les figurines gallo-romaines en terre blanche de l’Allier, mais aussi les reliefs d’Assyrie ou les antiquités de Grèce propre.

Des provenances reconstituées

Au-delà des informations données par les légendes des dessins, on a pu aussi retrouver, en identifiant les objets représentés dans le Recueil, d’autres provenances archéologiques. Elles varient là encore dans leur précision : un site, une région, un pays. A ce jour, un peu plus de 2 000 objets ont un lieu de découverte.

La majorité provient de France (744 artefacts), ce qui montre l’intérêt marqué du dessinateur pour les découvertes faites sur le sol national. Viennent ensuite l’Italie (avec 586 objets, dont 93 de la cité étrusque de Vulci et 69 de Rome) et la Grèce (227 objets). Étant donné la nature des objets dessinés, cette répartition est logique, l’Italie étant depuis longtemps le lieu de découverte privilégié des œuvres de l'antiquité classique, et la Grèce s'ouvrant plus récemment au XIXe siècle aux voyageurs comme aux archéologues et aux collectionneurs. On remarque aussi une forte proportion d’objets provenant de Cyrénaïque (64), sans doute venant en majorité (ou en totalité  ?) de Joseph Vattier de Bourville, de Turquie (66, notamment de Tarse, sans doute en lien avec l’expédition de Victor Langlois), de Crimée avec le site de Kertch (59, on a déjà parlé de l’importance des moulages de l’Ermitage envoyés au Cabinet des médailles comme des luxueuses publications du matériel) ou d’Égypte (56) : là encore, cela témoigne de l’actualité des dessins de Muret, ces lieux étant de grands pourvoyeurs du marché occidental à son époque. Le Proche-Orient est aussi bien représenté avec de nombreux objets liés à l’exploration récente de sites archéologiques en actuel Irak (23), Syrie (22), Iran (13) ou Liban (4). Et l’Europe du Nord est également présente, avec des objets découverts en Angleterre (25), Allemagne (53), Danemark (16), Belgique (12), Suisse (11). Il s’agit principalement d’objets d’époque romaine, mais aussi de protohistoire et même de Préhistoire. Ainsi, Muret dessine les silex récemment découverts au Danemark et offerts par Carl Christian Rafn, professeur à l’université de Copenhague, en février-mars 1840 à la BnF (dix sont dessinés par Muret) et au musée du Louvre ; un lot de 51 silex et deux parures de bronze entrent ensuite le 8 juin 1863 au musée de Saint-Germain-en-Laye.

Les dates de toutes ces découvertes sont plus rarement connues : seulement pour 470 objets (moins d'un quart de l'ensemble). Elles s'échelonnent de 1614 à 1864. Les plus anciennes, remontant au XVIIe siècle, correspondent à des objets de la collection de Nicolas-Joseph Foucault, entrée au Cabinet des médailles en 1727, comme cette cuillère trouvée à Autun en 1614, ou bien ce sont des œuvres connues dans des publications, comme la stèle funéraire trouvée à Xanten en 1620 et dont Muret reprend le dessin publié par Roach Smith en 1852.

Les découvertes les plus récentes, quelques années avant la mort du dessinateur, ont été faites à Eleusis par Charles Lenormant en 1863, à Athènes par son fils François Lenormant la même année, ou en 1864 à Athènes : il s’agit d’un griffon en bronze de la collection de son ami le commandant Oppermann, que Muret dessine en-dessous d’une tête de griffon acquise par le musée du Louvre la même année.

Enfin, signalons un cas curieux où la provenance est plus historique qu’archéologique. Ce masque de terre cuite est ainsi commenté :

Masque de théâtre formé de deux profils affrontés, l’une représente la tragédie et l’autre la comédie. Le 1er était entièrement peint en blanc et le second en rouge. Trouvé le 24 février 1848, dans les appartements du prince de Joinville, et déposé au Musée du Louvre.

Le prince de Joinville, François d’Orléans (1818-1900), était le troisième fils de Louis-Philippe. La date nous révèle que la découverte de l’objet a été faite lors de la « révolution de Février » des 22-25 février 1848 ; Louis-Philippe abdiqua le 24, quand la foule entra dans le palais des Tuileries. Les appartements de son fils François étaient sans doute vides puisqu'il était alors à Alger avec son frère le duc d’Aumale. Le musée du Louvre a bénéficié ainsi, après celles liées à la Révolution de 1789, d’une nouvelle saisie révolutionnaire, d'un masque dont l'authenticité n'est pas attestée.

 

Cécile Colonna

Pour citer cet article : Cécile Colonna, « Provenances archéologiques dans le Recueil de Muret », dans Digital Muret, mis en ligne le 03/10/2022, https://digitalmuret.inha.fr/s/digital-muret/page/provenances

 

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