Cas d'étude : le corpus épigraphique

Étudier les inscriptions représentées dans les onze volumes des Monuments antiques de Jean-Baptiste Muret, c’est se confronter à la grande diversité qui caractérise si bien cette œuvre monumentale, et à l’absence d’une méthodologie systémique. Ainsi, si notre dessinateur du Cabinet des médailles n’est pas un épigraphiste et ne semble pas avoir reçu de formation en lettres classiques, il s’est pourtant appliqué à représenter un ensemble de 377 objets inscrits (hors monnaies).

Si ce nombre peut paraître conséquent, il ne correspond cependant qu’à 4,7 % de l’ensemble des objets dessinés par Muret. Parmi les langues et alphabets représentés, on retrouve principalement des inscriptions grecques (48 %) et latines (45,9 %). Il a également dessiné neuf objets inscrits en étrusque, quatre en pehlvi (la langue parlée par les Perses sous les Sassanides entre le iiie siècle av. J.-C. et le viie siècle apr. J.-C.), deux objets portant des hiéroglyphes égyptiens, un sceau-cylindre avec une inscription en cunéiforme de l’époque d’Agadé (2350-2200 av. J.-C.) et enfin une inscription en sanskrit.

Timbres amphoriques d'époque hellénistique

Parmi les types d’inscription les plus représentés dans le corpus épigraphique du recueil se trouve premièrement une belle collection de timbres amphoriques grecs d’époque hellénistique, qui se compose au total de 98 anses estampillées, soit un quart du corpus épigraphique total (25,6 %) .

L’intérêt de Muret pour ces timbres s’inscrit de manière assez cohérente dans le contexte savant du milieu du xixe siècle, qui est alors marqué par le début de l’ « amphorologie » (ou science des amphores) avec la publication d’un premier corpus de timbres amphoriques en 1846 par Theodore Mommsen. Ces empreintes laissées sur les anses d’amphores sont de précieux outils pour l’étude de l’économie antique, des échanges ou encore de l’organisation politique des cités. Leur fonction propre reste cependant sujet d'importantes controverses entre spécialistes. Aujourd’hui encore, il n’est pas possible d’établir de manière assurée si ces timbres étaient d’usage public à l’initiative de la cité, pour des motivations économique ou administrative, ou à l’inverse d’usage privé (Badoud et Marangou 2019, p. 9).

Les dessins de Muret sont ainsi particulièrement précieux, car nombre de ces empreintes ont souvent été publiées uniquement avec la transcription de leur inscription. Les dessins permettent ainsi de mieux les documenter, d’autant que les spécialistes essaient également aujourd'hui de reconnaître les mains des artisans responsables de leur production.

On peut ainsi trouver sur ces timbres amphoriques le nom de magistrats secondaires tels que les astynomes (ἀστυνόμοι), le nom de la cité, qui est le plus souvent marqué au génitif pluriel ou à l’accusatif neutre singulier, ainsi que des « emblèmes », motifs banals se rapportant souvent au vin ou au domaine civique.

En ce qui concerne la provenance des timbres dessinés par Muret, nous avons pu déterminer que 31 ont été produits à Rhodes, 11 à Olbia, 11 en Mer Noire, 8 à Thasos, 2 à Cnide et enfin 1 à Paros. Cependant, la provenance reste incertaine pour 45 timbres du corpus, qui demanderait en lui-même une étude spécifique.

Les anses estampillées du Recueil

  • Anse estampillée

    Inscription en grec : ΠΑΥΛΕΙΝΟΥ.
  • Anse estampillée

    Inscriptions en grec : ΣΩΤΕΡΙΔΑ.
  • Anse estampillée

    Inscriptions en grec : ΕΠΙ ΑΡΙΣΤΟ / ΔΑΜΟΥ / ΑΚΙΜΟΙΟΥ (= ΕΠΙ ΑΡΙΣΤΟΔΑΜΟΥ ΑΓΡΙΑΝΟΥ ?).
  • Anse estampillée

    Inscription en grec : ΑΣΤΥΝΟΜOΥ / ΝΑΥΤΙΩΝΟΣ / ΚΑΛΛΙΣΘΕΝΟΥ / ΚΛΕΑΙΝΕΤΟΣ. A droite, corne (?).
  • Anse estampillée

    Inscription en grec : ΑΣΤΥΝΟΜOΥ / ΑΤΤΑΛΟΥ / ΦΙΛΟΚΡΑΤΟΥ. A droite, portrait de profil à gauche.

Signacula d'époque impériale

On trouve ensuite un ensemble de 60 signacula de l’époque impériale, soit 15,7 % du corpus épigraphique. Ce sont des sceaux-matrices, le plus souvent en bronze, qui se composent d'un anneau de préhension attaché à d’une plaque de forme variable : rectangulaire, in planta pedis, en « S », demi-cercle, amphore, etc. Elles portent une inscription rétroverse en relief qui donne le nom du propriétaire du centre de production. Ces signacula servent ainsi d’estampille aux ateliers pour marquer la production destinée à la commercialisation, comme les terres cuites architecturales, les amphores, ou encore le pain (Lemoine 2013/2014, pp. 51-58).

Les planches du Recueil représentant des signacula

Les signatures d'artisan

On trouve ensuite 12 signatures d’artisans dans le corpus de Muret, ce qui forme, avec les timbres amphoriques et les signacula, un ensemble assez cohérent pour affirmer que Muret portait un intérêt réel aux marques de fabrication.  Sont ainsi représentées les signatures de potiers et de peintres de vases grecs avec les formules composées du nom au nominatif singulier et du verbes έποίησεν (« a fait »), ou έγραψε (« a peint »).  Muret a également représenté plusieurs inscriptions des noms de potier gaulois, écrits à même les figurines de terre cuite ou sur le moule de production.

Les noms de potier du Recueil

Les stèles funéraires

Peu de stèles funéraires ont été représentées (11 au total), bien qu’elles constituent souvent les inscriptions les plus longues et les plus attrayantes pour un épigraphiste.

Stèle funéraire d'Euphratès

Paris, Musée du Louvre. Inv. MND 1789 ou Ma 4142. Stèle funéraire en marbre, brisée au sommet, découverte à Thessalonique avant 1847 (année de son achat à Joseph Vattier de Bourville par le Cabinet des médailles). Dimensions : 43,5 x 28,2 x 6 cm. Hauteur des lettres : 2,2 cm.
Pierre actuellement non exposée au Musée du Louvre (octobre 2022). Photographie.

IG X, 2 1 1019

Εὐφράτης παῖς ἦλθον,
αἴ {δ}ε πλοκαμεῖδες ἐ
πῆσαν· ἑξάκι νικήσας
πατρίδ’ ἐπη⟨υ⟩κλέισα.

« Moi Euphratès, je m'en suis allé encore enfant et mes boucles de cheveux me sont restées. Six fois vainqueur, j'ai apporté la gloire à ma patrie. »

Cette pierre, qu'on peut dater entre 150 et 225 de notre ère, porte une représentation du défunt Euphratès, certainement un rétiaire de son vivant car il est représenté avec un trident et deux poignards. Ce type de gladiateur devient une véritable attraction entre le iie et le iiie siècle de notre ère. Dans le champ, sont représentées deux fois trois couronnes, qui symbolisent ses six victoires également mentionnées dans l’épitaphe métrique : « ἑξάκι νικήσας ».

Stèle funéraire de Pothouménè

Paris, Musée du Louvre. Inv. C 2191 ; MND 1790 ; Ma 4502. Stèle en marbre découverte dans la région d'Antioche de Syrie, achetée à Wahl par le Cabinet des médailles en 1848, puis dévolue au Musée du Louvre. Dimensions : 24 x 26 cm. Hauteur des lettres : 1,8 cm.
Pierre actuellement non exposée au Musée du Louvre (octobre 2022). Photographie.

CIG 4468.
Le Bas, Inscriptions grecques et latines, vol. 5, Paris, 1839, p. 189-190 n° 1.
IGLSyr 3,1 966 (O. Masson, BCH 111-1, 1987, p. 272).

Eὐψύχι
Ποθουμένη.

« Bon courage à toi, Pothouménè. »

Stèle du iiie siècle apr. J.-C. Défunte représentée dans un cadre architectural d’intérieur, composé de deux colonnes aux chapiteaux lacunaires et d’un fronton cintré, qui fut la ligne de brisure de la stèle funéraire. Représentée en banqueteuse, elle est allongée de face sur une klinè tandis que se trouve devant elle une petite table.

Stèle funéraire de Beitenos

Paris, Musée du Louvre. Inv. Ma 934 ; MR 824 ; N 1174. Stèle funéraire en marbre intacte, hormis un éclat à l'acrotère droit et quelques éclats sur les côtés. Découverte à Larnaca (Chypre), transportée à Constantinople avant le xviie siècle. Dimensions : 59 x 27 x 6 cm. Hauteur des lettres : 1,9 cm.
Pierre actuellement non exposée au Musée du Louvre (octobre 2022). Photographie.

C. de Clarac, Musée de sculpture antique et moderne, vol. 2, partie 2, Paris, p. 855 n° 442, pl. I n° 8.
W. Froehner, Les inscriptions grecques interprétées, Paris, 1865, p. 230, n° 130.
L. Laugier, Les sculptures grecques de l'époque impériale, Paris, 2021, p. 578-579, n° 521

Π. Βειτηνος
Ἑρμῆς κλεινο
πηγός νεώτερος,
ἐνθάδε κείμαι,
παροδεῖτα χαῖρε
!

« P. Beitenos Hermès le jeune, fabricant de lit, je repose ici. Passant, salut ! »

Stèle funéraire des ii-iiie siècle apr. J.-C. surmontée d’un fronton triangulaire décoré d’une rosace, et  entouré de deux acrotères lacunaires. Au centre, sont sculptés en bas relief plusieurs instruments (équerre, compas, rabot, etc.) faisant référence au métier du défunt (κλεινοπηγός, « fabricant de lit »).

Stèle funéraire de Thrax Priscus

Stèle funéraire découverte à Izmir. Dimensions inconnues.
Dessin de Muret.

IG 3374
IGRR IV 1457
Robert, Glad. 243
ISmym 408

Πρίσκῳ Θρᾳκὶ Ἐλέα ἡ
γυνὴ τὸ μνημῖον ἐ
πόησε.

« Pour Thrax Priscus, sa femme Eléa a fait son tombeau. »

Gladiateur Thrace de face, tenant la sica et le bouclier court, un casque à ses pieds.

Stèle funéraire d'Augesis

Stèle funéraire lacunaire dans les coins haut gauche, haut droite et bas droite, provenance inconnue.

Inédite.

Αὔξησις ἄνδρες χρηστή χαιρέσ(η).

« Salut Augesis excellente, femme d'Andreas ! ».

Datant des iie-iiie siècle ap. J.-C. Scène d'intérieur, à côté de la défunte vêtue d’un himation se trouve représenté un kalathos, panier caractéristique utilisé pour le travail de la laine. 

Stèle funéraire de Pheilokleia

Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Monnaies, médailles et antiques. Inv. reg.A.444ter. Cippe funéraire trouvée à Sidon. Dimensions : 32 x 11 cm. Hauteur des lettres : 2 cm.
Photographie.

Φειλοκλ
εια χρησ
{σ}τὴ καὶ ἄ
ωρε ζήσα
σα ἔτη
ιζ'.

« Pheilokleia excellente, morte avant l’âge, adieu ! Ayant vécu 17 ans ».

Cippe funéraire en marbre ou calcaire, avec une base rectangulaire inscrite d’une épitaphe. La partie supérieure se compose d’une colonnette coiffée d’une couronne de feuillage décorée au centre d’une rosette à quatre pétales.
Correspond à la typologie des cippes sidoniens, qui ne mesure jamais plus de 40 cm. (Yon 2015)

Stèle funéraire de deux hommes

Paris, Musée du Louvre. Inv. MND 1796 ; Ma 4317. Stèle très usée, dont les angles inférieurs manquent, trouvée en Macédoine. Au revers, inscription hébraïque (réemploi). Dimensions : 64 x 35,6 x 8 cm. Hauteur des lettres : 1,7 cm.
Photographie.

IG X, 2 1 1019.
A. Dain, Inscriptions grecques du Musée du Louvre, Paris, 1933, p. 167, n° 191.
M. Kalaitzi, Figured Tombstones from Macedonia, Oxford, 2016, p. 227 n° 129.

« Untel fils de [Zé]nôn (?) et untel, fils de [Z]ôïlos, héros » (Hamiaux 1998, p. 127-128, n° 134).

Stèle funéraire en naïkos, scène de dexiosis
Datation : ier siècle av. J.-C.
Lieu de production : Thessalonique

Stèle funéraire en naïkos, avec scène de dexiosis, encadrée par deux colonnes. Une femme, vêtue d’un chition et d’un himation, est assise sur un tabouret de profil et se tourne vers un homme debout en face d’elle. Celui-ci tient une canne. Dans le coin supérieur gauche, un carré représentant une fenêtre encadre la tête d’un cheval ainsi représenté à l’extérieur, tandis qu’à droite se trouvent des branches d’arbre. L’inscription, dans le champ épigraphique se trouvant sous la scène figurée, est très lacunaire et rend difficile la lecture.

Il est intéressant de noter que Muret a complètement omis la face postérieure de la stèle, où est inscrite une épitaphe en hébreu entourée de deux rinceaux végétaux, consacrée à la mort de la jeune Oro, décédée en 1676.

Stèle funéraire de Q. Carminius Ingenuus

Worms, Museum der Stadt Worms im Andreasstift. Inv. inconnu. Stèle funéraire en grès, découverte à Worms en 1666. Dimensions inconnues.

CIL XIII, 6233

Q(uinto) Carminio In
ge[n]uo [eq]uit[i ala I(?)]
Hispanorum a[nn(orum) ---]
stip(endiorum) XXV signifero
Sacer Iulius h(eres) e(x) t(estamento)

« Quintus Carminius Ingenuus, cavalier et porteur d'étendard (??) Hispanorum, vécut [---] années et servit 15 ans. Son héritier Sacer Iulius (a élevé ce tombeau) selon son testament. »

Première moitié du ier siècle apr. J.-C. Cavalier galopant à droite, brandissant un javelot et portant une enseigne. Harnachement du cheval orné de phalères. Deux barbares, nus et à la longue chevelure, sont vaincus au sol sous la monture cambrée. 

Stèle funéraire de Pintaius

Bonn, Rheinisches Landesmuseum. Inv. U.98. Stèle funéraire trouvée à Bonn en 1795. Dimensions : 194 x 62 x 22 cm. Hauteur des lettres : 6 cm.
Photographie.

CIL XIII, 8098 (AE 2002, 1034).
Dessau, Inscriptiones Latinae Selectae 2580.
CSIR-D III 01.
H. Lehner, Die antiken Steindenkmäler des Provinzialmuseums in Bonn, 658.

Pintaius Pedilici f(ilius) Astur Trans|montanus castel(l)o Intercatia signifer c(o)ho(rtis) V Asturum anno(rum) XXX stip(endiorum) VII  h(eres) ex t(estamento) f(aciendum) c(uravit)

« Pintaius fils de Pedicius, du castellum d’Astur Transmontanus, porteur de l'étendard de la cinquième cohorte asturienne, âgé de trente ans avec sept ans de service. Son héritier a pris soin d’élever ce tombeau selon son testament. »

Daté de 50 apr. J.-C. Homme debout, de face sous une arche cintrée, porte la dépouille d’un lion autour de ses épaules. Il tient de sa main gauche son épée rangée dans son fourreau, et une enseigne de la main droite.

Stèle funéraire de Xandrinus

Stèle funéraire inscrite en scripto continuo, de provenance inconnue, lieu de conservation inconnu. Appartenait au Musée de Vérone en 1745.
Dessin.

S. Maffei, Museum Veronense, Vérone, p. 125.

D(is) M(anibus).
Generoso retiar|o invicto pugnarum XXVIINALE Xandr(i)n(us) qui pugnav(i)t v(i)r.

« Au généreux rétiaire invaincu des combats pendant 27 ans, Xandrinus l'homme qui combattit »

Le champ épigraphique, légèrement surcreusé, se trouve au centre de la stèle. De chaque côté, sont représentés un poignard et un trident, les armes du défunt rétiaire.

Stèle funéraire de Marcus Caelius

Bonn, Rheinisches Landesmuseum. Stèle funéraire en marbre de Xanten.

CIL XIII, 8648

M(arco) Caelio T(iti) F(ilio) Lem(onia) Bon(onia) [-?-]  o(rdini) leg(ionis) XIIX ann(orum) LIII S(emissis) [ce]ciit bello variano ossa [LIB(ertorum) i]nferre licevit P(ublius) Caelius T(iti) F(ilius) Lem(omia) frater fecit.

« Marcus Caelius Privatus, affranchi de Marcus Marcus Caelius Thiaminus affranchi de Marcus, À Marcus Caelius, fils de Titus, [de la tribu] Lemonia, de Bologne. [Centurion] de premier ordre de la XVIIIe Légion, âgé de 53 ans et demi, il tomba lors de la Guerre de Varus. Leurs ossements ont l’autorisation d’être placés ici. Publius Caelius, fils de Titus, [de la tribu] Lemonia, son frère a fait [cette stèle]. »

Muret a choisi de ne pas représenter certaines inscriptions et de dessiner uniquement la scène figurée. Pour comprendre ce choix, il faut regarder la planche entière : Jean-Baptiste Muret compose ses planches par association visuelle à partir d’un thème iconographique qu’il représente en mettant en série ses représentations. En l'occurrence, il semble qu’ici il lui importait de dessiner des phalères romaines.

Monument de Marcus Caelius (v. 45 av. J.-C. – 9 apr. J.-C.), centurion de la XVIIIe Légion, tué dans la bataille de la forêt de Teutobourg.  Il porte sur sa cuirasse des phalères, des armillae, et sur sa tête une couronne civique de chêne. Il tient également le vitis, le cep de vigne du centurion dans sa main droite. De part et d'autre se trouvent ses affranchis Privatus et Thiaminus.

Les ex-voto anatomiques

Jean-Baptiste Muret a également représenté un important corpus d’ex-voto anatomique (131 au total), mais seulement quatre portent une inscription.

Ex-voto anatomique de jambe

Londres, British Museum. Inv. 1867,0508.117. Stèle votive en marbre, découverte en 1828 dans le sanctuaire d'Asclépios, à Mélos. Dimensions : 30 x 20 cm. Hauteur des lettres : 1,6 cm.
Photographie.

CIG 2429

Ασκληπιώ και Υγεία Tύχη εὐχαριστήριον.

« Tychè [a dédié ceci] à Asclépios et Hygieia, en remerciement pour les grâces accordées. »

Autres ex-voto anatomiques inscrits

Les compétences linguistiques de Jean-Baptiste Muret

Si l’on regarde du côté des légendes, écrites au dos des planches, on s'aperçoit que peu de ces objets ont reçu une attention particulière du dessinateur. En effet, seulement 34,4 % ont été annotés. Il ne donne la transcription que de 57 inscriptions (soit 15 %) et propose une traduction pour 20 d’entre elles (soit 5,3 %).

Muret semble tout de même avoir assimilé des connaissances très basiques de l’épigraphie latine, car à plusieurs reprises il développe l’abréviation de noms romains. Pour un objet inscrit FIRM, par exemple, il développe en légende « FIRMus », en rajoutant la désinence du nominatif masculin singulier (recueil n° 04, pl. 168, n° 2, ci-contre).

Les planches de dessin semblent également être un support de réflexion pour d'autres savants que Muret, car certaines annotations montrant des compétences plus avancées en langues anciennes sont clairement écrites par une main différente. C’est le cas par exemple pour une cippe en pierre pour laquelle la légende donne d’abord une description succincte et le lieu de conservation : « Petit autel de pierre sur lequel est sculpté un bas-relief, un triple phallus ailé (Musée d’Amiens) », ainsi qu’une transcription : « P. MATID V. S. » (recueil n° 09, pl. 118, n° 10, ci-contre).

En dessous, l’inscription est développée : « Publius MATIDius Votum Solvit », ce qui signifierait « Publius Matidus s'est acquitté de son vœu ». On retrouve ici le début de la célèbre formule, très usitée dans l’épigraphie impériale, votum solvit libens merito (V.S.L.M.). Il semble que ce développement soit véritablement à l’initiative d'un second intervenant, dont le style d’écriture diffère clairement de celui de Muret. Or, cette inscription a d’abord été publiée en 1845 dans le Catalogue du musée départemental et communal d’antiquités d'Amiens (p. 12, n°50), et est développée de la manière suivante : « Priapo Matidus votum solvit ». La différence n’est pas anodine, le datif de « Priapo » fait de ce dernier le destinataire du cippe votif : c'est à Priape, dieu romain symbolisé par un phallus surdimensionné, que la stèle est dédiée.

Les compétences en langues anciennes de Jean-Baptiste Muret semblent donc être élémentaires. Il faut toutefois noter que la qualité des dessins et des transcriptions des lettres de certaines inscriptions, parfois très altérées, atteste de sa capacité à reproduire avec fidélité ces documents épigraphiques. Les dessins des quatre fragments de Tables iliaques conservés au Cabinet des médailles en attestent parfaitement (recueil n° 02, pl. 055, ci-dessous).

Fragments de Tables Iliaques

Conclusion

Pour conclure, on peut mettre en avant l’intérêt manifeste de Jean-Baptiste Muret pour les marques de production. Le corpus de timbres amphoriques (25,6 %), de signacula (15,7 %) et de signatures d’artisans (3,1 %) représentent, additionnés, presque la moitié des 377 objets inscrits dessinés dans le Recueil. Si les maigres connaissances du dessinateur en épigraphie l’ont peu incité à dessiner des inscriptions plus complexes, comme des épitaphes ou des dédicaces votives, la qualité de ses dessins et la justesse de la transcription font de cet ensemble une source précieuse pour la recherche.

 

Maylla Bisson

Pour citer cet article : Maylla Bisson, « Le corpus épigraphique », dans Digital Muret, mis en ligne le 03/10/2022, https://digitalmuret.inha.fr/s/digital-muret/page/epigraphie

 

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