Une archéologie par l’image

D'illustrateur ...

Les planches dessinées par Muret ont été au départ conçues en partie pour documenter la collection du Cabinet des médailles, et en partie pour aider à rassembler de la documentation autour des figures mythiques sur lesquelles Raoul-Rochette travaillait. On a ainsi déjà noter une convergence des intérêts de Muret et du conservateur autour des images phalliques ou des origines des représentations d'Hercule.

On trouve ainsi d’autres exemples de liens entre des articles publiés par Raoul-Rochette et des planches dessinées par Muret. Par exemple, la « Lettre à M. le professeur Eduard Gerhard sur deux vases peints de style et de travail étrusques » de Raoul-Rochette, parue en 1834 (Annales de l'Institut de correspondance archéologique, second et troisième cahiers, p. 264-294), est illustré de deux planches dans les Monumenti, II, pl. VIII et IX, non signées, qui reproduisent les scènes de deux vases étrusques. Ces deux vases sont aussi dans le Recueil : le cratère Beugnot et le cratère Durand, passé ensuite dans la collection Blacas.

Encore en 1847, l’article de Raoul-Rochette, « Mémoire sur un vase peint inédit de fabrique corinthienne » (Annales de l'Institut de correspondance archéologique, 1847, p. 234-262), s’accompagne d’une planche dans les Monumenti (IV, pl. XL) avec quatre dessins non signés. L’un est un vase trouvé à Panticapée et conservé au musée de Kertch, les trois autres sont conservés au Cabinet des médailles (204, 410, 470). Ils sont tous trois dessinés dans le Recueil de manière similaire, sur deux planches différentes du vol. 11, pl. 152 et 183, ce qui suggère que Muret ait pu fournir les dessins pour cette publication. Notons que dans le même volume des Monumenti sont dessinés deux autre vases du Cabinet (pl. XLVI), mais avec des dessins différents de ceux de Muret - cette fois-ci pour illustrer un article de Lenormant. Les dessins des antiques du Cabinet destinés à être publiés ne lui étaient pas toujours confiés.

Monumenti inediti pubblicati dall'Instituto di corrispondenza archeologica, IV, 1844-1848, pl. XL.

Désiré Raoul-Rochette avait l’ambition, mainte fois affirmée dans ses écrits, mais jamais réalisée, de composer une vaste Histoire de l’art chez les Anciens, qui aurait compilé tout le savoir de l’époque et renouvelé Winckelmann. Il est fort probable que c’est en partie dans cette optique que le dessinateur a d’abord été recruté. Ce qu’on sait du projet, préparé par de multiples articles, montre qu’il partait de l’art grec, s’intéressait beaucoup à la peinture, mais aussi à toutes les classes de monuments, et ne délaissait aucunement les Étrusques ni les Romains. L’Égypte et Orient ont pris une place de plus en plus importante dans ses travaux, mais toujours considérés sous le prisme des origines de l’art grec. Autant de caractéristiques qui se trouvent au moins dans une partie des planches.

On retrouve chez les deux hommes cette volonté de proposer un nouveau système de lecture de l’image antique, partant de l’œuvre et non des textes, le refus des cloisonnements par catégorie d’œuvre ou par civilisation, et la prise en compte conjointe des dimensions artistiques et archéologiques des témoignages du passé. Muret a cependant élargi ses intérêts liés aux nouvelles découvertes, surtout vers la Gaule romaine, délaissée par Raoul-Rochette, et aussi à la marge aux productions de la préhistoire et de la protohistoire, avec quelques difficultés (voir l'article).

Il semble qu’au fil des années Muret ait pris une autonomie grandissante dans ce travail, tandis qu’au Cabinet il acquérait des connaissances archéologiques, et ses séries deviennent en partie personnelles. On se rappelle le jugement des conservateurs en 1847 : « il faut laisser un artiste suivre son goût » (voir l'article biographique). En tous cas, on ne trouve jamais dans ses planches une simple illustration des écrits des conservateurs pour qui il travaillait, Raoul-Rochette ou Lenormant, et il semble avoir développer des intérêts propres, comme la série des gutti qu’il comptait publier (voir l'article sur les mises en série). Mais le lien entre les planches dessinées et certains articles des conservateurs est intéressant à examiner, car on peut déceler à plusieurs reprise une contribution originale aux travaux iconographiques de son temps, qui entre en dialogue avec les travaux contemporains.

... à archéologue ?

En 1846, Raoul-Rochette rédige, en réponse à un travail de Letronne avec qui il était toujours en désaccord, une longue étude sur la croix ansée. C’est la seconde partie de ses Mémoires d'archéologie comparée, asiatique, grecque et étrusque, et elle est intitulée : « De la croix ansée, ou d'un signe qui y ressemble, considérée principalement dans ses rapports avec le symbole égyptien sur des monuments étrusques et asiatiques ». La seconde partie aborde les représentations « asiatiques ». A la page 312, il cite « un signe semblable à la croix ansée imprimée sur la croupe des chevaux » vu sur un bol en argent trouvé à Cerveteri, orné à l’intérieur et à l’extérieur de frises historiées, et reproduit dans L. Grifi, Monumenti di Cere antica, Rome, 1841, pl. VIII-IX et dans F.X.D. Maximis, Musei Etrusci quod Gregorius XVI Pon. Max. in aedibus Vaticanis constituit monimenta linearis picturae exemplis expressa et in utilitatem studiosorum antiquitatum et bonarum artium publici iuris facta, Rome, 1842, I, pl. XXI (et non LXIII). Il affirme aussi avoir vu le même signe sur des « monnaies frappées en Cilicie sous la domination persane. » Le passage est illustré par le détail de ce signe sur la croupe du cheval sur la planche I, n°31. Il cite ensuite (p. 316) l’usage de marquer les chevaux de certaines lettres de l’alphabet, en évoquant des monnaies d’Ambracie (alpha sur un pégase), ou d’autres marques, comme la palme (p. 320), que l’on trouve sur des monnaies, et « une pierre sépulcrale chrétienne, extraite du cimetière de Saint-Calixte, et publiée par Boldetti, Osservazioni, etc. p. 215, offrant la figure d’un cheval vainqueur, equuus palmatus, avec un signe, episemon, difficile à déterminer, à cause de la grossièreté du travail, qui se voit dessiné sur la croupe ». Il détaille ensuite certaines représentations que l’on trouve sur les vases grecs (p. 320-321) : un vase Hamilton chez Tichbein, avec un serpent sur la croupe de Pégase (I, pl. 1) ; un autre chez Millingen, avec une croix enfermée dans un cercle (pl. XXXVI, reproduit pl. I, n°32) ; le même signe sur un vase de la collection Coghill (pl. XLVII) ; un X sur un vase Hamilton (d’Hancarville I pl. 30 ; Dubois Maisonneuve pl. III). Enfin, pour évoquer une origine orientale à cet usage grec, outre les textes et les monnaies, il parle du « célèbre monument de Tackh-i-Bostan, où le cheval sur lequel est monté le monarque sassanide, porte imprimée sur la cuisse une marque qui a précisément la forme d’une croix ansée à deux branches. » (p. 324 ; Porter II, pl. LXII, reproduit en I, n°33).

Ce passage sur les marques apposées sur les croupes des chevaux trouve un écho direct sur une planche de Muret, dont les représentations sont assez légendées. Toutes les images (huit) sont des extraits des scènes figurant uniquement le détail en question (sauf la lampe représentée entière).

Le n°1 figure le « Cheval portant pour marque le bandeau royal. Tiré d’un bas-relief de Persépolis. Ker Porter, Voyage en Perse, tome, pl. » (la référence est incomplète et le site erroné) ; c’est le même détail reproduit, de manière simplifiée, par Raoul-Rochette, n°33. 

Le n°2 est ainsi légendé : « Cheval marchant à gauche. Il est marqué d’un (swastika dessiné) sur la cuisse gauche et des bonnets de Dioscures sur l’épaule du même côté. Lampe de terre cuite du Cabinet de Monsieur Callet architecte. »

On voit ensuite quatre extraits de vases à figures rouges : n°3, « Le cheval Pégase marqué du caducée de Mercure sur la cuisse gauche. Tiré d’un vase du Musée de Compiègne. Il est conduit par Bellérophon » ; n°4, « Le cheval Pégase marqué d’un serpent sur la cuisse droite. Il est monté par Bellérophon. Tyschben (sic) Tom. I pl. Ière » (cité dans l’article) ; n°5, « Cheval attelé à un char. Il est marqué d’une roue sur la cuisse gauche. Millingen peinture de vases grecs pl. XXXVI » (cité dans l’article) ; n°6 « Centaure marqué d’un (dessin d’un cercle barré) sur la cuisse gauche. Millingen peintures de vases grecs PL. VIII ».

Le n°7 est une pierre gravée : « Cheval marchant à droite. Il a pour marque une palme sur la cuisse droite et une couronne sur l’épaule de même côté. Dans le champ le mot AIƟAɅHC et le monogramme [dessiné]. Cornaline du Cabinet de Monsieur Stosch. »

Enfin, le n°8, non légendé, est un extrait du vase en argent de Cerveteri, point de départ de l’article de Raoul-Rochette.

Raoul-Rochette évoque donc neuf objets avec des représentations de marques, et il en illustre trois par de simples relevés au trait ; Muret dessine sur cette planche quatre de ces objets, dont les trois reproduits plus simplement sur la planche de l’article. Il ajoute quatre autres vues : un détail pris sur un autre vase publié dans le même ouvrage de Millingen, une intaille de la collection Stosch, un extrait d’un vase de la collection Vivenel (n°3), et une lampe de la collection Callet.

Mais on trouve en fait des dessins des trois autres images évoquées par l’article de Raoul-Rochette ailleurs dans le Recueil. Le cavalier et sa monture du vase Coghill sont figurés sur une autre planche, à côté d’une scène d’un vase Caylus, sans légende. Surtout, le vase reproduit dans Dubois Maisonneuve, tout comme la copie du cheval de la tombe chrétienne du cimetière de Calixte et publiée par M. A. Boldetti, apparaissent sur une autre planche complémentaire de celle que l’on a vue, aujourd’hui séparée dans le volume 11. Deux autres images sont mises en regard : le premier est une « Boucle de ceinturon découpée à jour elle représente un cheval marqué d'une roue sur la cuisse. » A côté figure une statuette ainsi légendée : « Cheval marqué du monogramme du Christ. Les lettres sont rétrogrades (Bronze de la Bibliothèque Nationale). » Les deux n’ont pas été identifiés dans les collections actuelles.

Muret a donc donné, sur trois planches séparées, une image des neuf représentations antiques évoquées dans l’article de Raoul-Rochette, qu’il a mêlé à d’autres objets qui n’y sont pas mentionnés. Il ne semble donc pas que ces planches aient servi de documentation préparatoire à Raoul-Rochette, qui aurait sinon à coups sûrs énuméré ces autres exemples, lui qui aimait lister longuement toutes les occurrences d’un motif. Il semble plutôt que la planche ait été faite en réponse à l’article, ou en complément, offrant des images plus complètes que les simples croquis de la publication, des images pour les objets seulement évoqués dans le texte, et proposant aussi de nouveaux exemples inconnus du savant. Il est d’ailleurs intéressant de noter, outre la référence à Millingen omise par Raoul-Rochette, l’insertion d’une pierre de Stosch que Muret connaissait certainement par les moulages du Cabinet des médailles, et deux objets de collectionneurs privés, dont le dessinateur connaissait sans doute mieux les fonds que le savant.

L’étude des deux planches consacrées au mythe d’Hylas, en complément de l’étude de Raoul-Rochette dans ses Choix de peintures de Pompéi, 1844-1851, offre une démonstration similaire, avec un jeu de miroirs entre la planche dessinée et l’article publié. Les planches de Muret, telles qu’elles nous sont parvenues, reflètent donc certainement différents aspects du travail de Muret, entre documentation simple et réflexions iconographiques, recherches autour d’un thème ou d’un type ou interprétation d’un nouvel objet découvert. Ces intérêts ont certainement évolué tout au long de sa carrière, ce qui est difficile à saisir finement sans date systématique.

De l’image à la forme

En croisant les données fournies par les légendes, que ce soient les dates explicites, les mentions de collections ou les appellations changeantes des institutions, on peut proposer un terminem post quem ou ante quem pour la datation de certaines planches. Ces indices, lacunaires, permettent cependant par leur croisement de saisir une certaine évolution dans l’approche des objets. Si le dessin de Muret ne se fait jamais véritablement technique, on observe en effet un traitement plus complet des œuvres avec deux vues, et parfois un détail, comme pour une série de statuettes archaïques d’Athéna, dessinée dans les dernières années de sa vie puisque l’une est rapportée d’Athènes par François Lenormant en 1863.

Pour la série des figurines de terre cuite gallo-romaine, et plus généralement des trouvailles gallo-romaines, dont on commence à s’intéresser plus sérieusement à partir des années 1850 et surtout 1860, les vues sont là aussi presque toujours doubles, avec souvent le détail de l’inscription traité séparément. La série des anses estampillées, qui présente une belle homogénéité, date après 1857 (voir l'article sur l'épigraphie). Si pour la plupart des vases, quel que soit le matériau, ce sont uniquement des extraits des images qui sont pris, on a quelques traitements plus respectueux de la forme, dont certains sont datés des années 1860 : l’oenochoé rhodienne avec la silhouette au crayon et le détail de motifs iconographiques, découverte en 1862, ou la patère en argent découverte en Espagne en 1861.

Dans les planches que l’on peut dater le plus récemment, après 1865, on voit cette comparaison de deux tondos, cette planche de mors en bronze, après 1864, ces deux griffons en bronze, après 1863, cette planche d’ivoires.  On trouve aussi beaucoup de planches d’œuvres seules, comme le « Caducée de Mercure criophore. Musée Napoléon III » (ouvert de mai à novembre 1862) ou le « Génie debout couronné de fleurs. Fragment de coffret antique en os donné à la Bibliothèque Impériale par Monsieur Eugène Piot » le 3 septembre 1863.

Les quelques indices chronologiques donnés par les légendes, les dates de découvertes, les entrées dans les musées, etc, semblent donc indiquer que les plus anciennes planches sont celles dédiées à la mythologie, et que les plus récentes sont celles dédiées à la mise en série des formes, celles de la sculpture comme celle des instruments ou les armes.  Cependant, ce n’est pas une évolution linéaire. Les planches des objets seuls et celles composées autour d’un thème se retrouvent tout au long de la production : on trouve déjà des planches d’objets seuls dans les années 1830, comme le miroir en bronze passé à la vente Canino en 1837, et les planches thématiques sont encore produites dans les années 1850, comme sur cette planche dédiée aux sphinx qui intègre un pendant découvert en 1853, ou bien celle sur Héraclès avec une statuette trouvée à Tarse en 1852.

Finalement, Muret dans ses dessins serait devenu de plus en plus archéologue et de moins en moins artiste, s’accordant avec l’exigence d’une production de dessins d’antiques selon des conventions, qui est nous l’avons vu un tournant essentiel pour reconnaitre l’objet comme une preuve. Les compositions sont plus sobres, les objets mieux exposés. Toutefois, la fibre artistique de Muret est toujours présente, dans le souci d’équilibre toujours affirmé dans ses compositions, comme avec ces colliers et une perle de verre découverte à Langres en 1863, ou cette magnifique planche autour des bijoux rhodiens découverts à Camiros par A. Saltzman en 1862.

De l’histoire de l’art à l’archéologie ?

L’image archéologique sert concomitamment deux ordres de registre : classer les objets pour les faire entrer dans des ensembles logiques, comme des pièces d’un grand puzzle, que l’on veut étudier et comprendre en tant qu’ensemble signifiant, et révéler chaque objet, en expliquer la forme, la fonction, en faire comprendre les spécificités. Muret, par son entreprise comme par les tâtonnements et les évolutions que l’on perçoit dans sa démarche, est le témoin des essais de traiter scientifiquement la masse des œuvres modestes sorties de terre, dans cette période qui voit à la fois l’accélération des découvertes et la rationalisation des méthodes et des approches, avec la tentation récurrente de tout voir et de tout embrasser. Gerhard l’affirme même comme une condition d’élaboration de la science archéologique : avoir les moyens de connaître toutes les productions antiques :

Il ne manquait pas d'archéologues, et ceux qui étaient à la portée des musées et des grandes bibliothèques, avaient jusqu'à un certain point les moyens de le devenir ; mais restreints, comme ils étaient, à peu de monumens originaux, à quelques plâtres et à des gravures imparfaites, comment auraient-ils pu juger avec précision d'un objet d'antiquité quelconque : jugement qui, dans son ensemble comme dans ses détails, dépendait nécessairement de la totalité des monumens venus jusqu'à notre époque ? [E. Gerhard Notice sur l’Institut de Correspondance Archéologique, Rome, 1840, p. 2]

L’idéal vers lequel tendre n’est pas de prendre en compte un échantillon représentatif, mais tout, selon l’adage qui veut que « Qui a vu un monument n’en a vu aucun ; qui en a vu mille en a vu un. » C’est en accumulant les spécimens que l’on peut espérer ensuite les comprendre, comme l’affirme Raoul-Rochette dans sa critique de l’Elite en 1841 :

Quand tous les vases seront connus, quand tous les éléments d’étude que renferme cette branche de la science seront rassemblés par des mains habiles, qu’il sera temps de penser à les comprendre dans un système commun d’interprétation. [Journal des Savants, novembre 1841, p. 644]

 

On se rappelle enfin la recommandation de Charles Lenormant dans son article programmatique de 1844 sur l’archéologie :

La première condition pour devenir archéologue est donc de connaître les monuments : l’histoire de l’art est comme un vaste casier dans les divisions duquel on doit répartir à coup sûr les objets, à mesure qu’ils se présentent. [Revue archéologique, 1844, p. 3]

... une parfaite définition pour les planches en perpétuelle complétion de Muret.

 

Cet horizon, qui pouvait s’avérer encore à portée de ces savants malgré l’étendue des objets et des aires, était évidemment en partie un mirage : l’illusion d’une histoire de l’art antique achevée en leur temps. Car cette démarche totale, qui implique le traitement égal de toutes les traces matérielles du passé, même les débris hors contexte des collections, montre rapidement ses limites. Elle correspond évidemment à un même souci du collectionneur, et du musée archéologique, qui doit inventorier et donner sens à des masses d’objets parfois difficile à appréhender quand leur historique a, comme c’est le cas le plus fréquemment, été perdu. Elle répond aussi à un intérêt plus large de l’époque pour l’histoire économique et sociale, pour la production, la circulation et la consommation des biens, pour « la vie quotidienne de toutes les couches de la population, en particulier pour ceux à qui on n’édifiait pas des statues et que seuls représentent de modestes outils et ustensiles tenus à leur époque et longtemps après, dans le mépris » (Pomian 1988 p. 5). Et c’est en effet le but assigné à cette nouvelle science du XIXe siècle, comme l’affirme l’article du Larousse :

L’archéologie nous fait pénétrer dans l’intérieur, dans le fond de cette vie ; elle nous apprend les mœurs, les usages, les coutumes, les croyances des anciens, nous les rend visibles en transportant notre imagination au milieu de l’antiquité. [cité par Péty 2007, p. 213]

Mais sans contexte de découverte, sans stratigraphie, cette entreprise se révèle vaine et vouée à l'aporie. Que tirer de l'amas d'anneaux ou de tiges ? L’approche comporte sans doute une part d'irrationnel, qui traduit la volonté du savant de ne rien rater, et de croire que de l'accumulation débridée et de la mise en série formelle va jaillir le sens, si on est suffisamment exhaustif.

Les planches dessinées par Muret ne forment pas une histoire, dans le sens d’une démonstration de la succession des styles, comme elle est par exemple en œuvre chez Séroux d’Agincourt. Elles relèvent de l’archéologie, en ce qu’elles visent à montrer la culture matérielle des anciens, voire d’une anthropologie historique cherchant à comprendre le fonctionnement de ces images. Mais déconnectées des fouilles et refusant les datations, elles peinent à atteindre cet ambitieux objectif.

Cécile Colonna

Pour citer cet article : Cécile Colonna, « Une archéologie par l'image », dans Digital Muret, mis en ligne le 03/10/2022, https://digitalmuret.inha.fr/s/digital-muret/page/archeologie-par-image

 

Lire la suite : Edition du XIXe au XXIe siècle : des portefeuilles Muret au Digital Muret.

Bibliographie

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C. Colonna, « Le « Recueil des Monuments antiques » de Jean-Baptiste Muret (1795-1866) : documenter et comprendre, une archéologie par l’image », dans V. Dasen (dir.), Images en jeu : Réception et transferts, Fribourg, à paraître.

C. Colonna, « Dessiner, reproduire, recopier.  L’intégration des dessins d’après publication dans le Recueil de Monuments antiques de Jean-Baptiste Muret (1795-1866) », dans A.-H. Klinger-Dollé, V. Krings, F. Pugnière (éd.), Donner à voir l’Antiquité, actes du colloque de Nîmes, 15-17 mai 2019, à paraître.

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