La place du texte
Du texte caché
Dans les planches de Muret, l’image règne, et le texte, quand il n’est pas totalement évacué, est rejeté au revers. Ces légendes, portées au crayon à papier de manière souvent hâtive et brouillonne, apparaissent en bas de page, dans un entassement parfois difficile à démêler (comme en recueil n° 1, pl. 49), avec des ratures et changement ; elles offrent un aspect inachevé qui contraste avec le soin apporté aux images du recto.
Elles sont souvent portées en plusieurs temps, à l’occasion de l’ajout d’une nouvelle image au recto, ce dont témoigne les variations dans l’écriture ou la qualité du crayon employé (ce que l'on peut voir par exemple en retournant la planche 11 du recueil n° 2).
Ces légendes existent pour à peu plus de la moitié des objets (4 683), et leur nature comme leur importance est extrêmement variable. Parfois Muret donne simplement un titre à une planche (« Bronzes provenant de l’Isle de Chypre »), parfois il détaille une longue légende pour chaque objet numéroté de la planche (comme sur cette planche consacrée à Méduse). Quelques légendes fournissent des commentaires très détaillés, parfois de véritables analyses iconographiques : cela concerne presqu'exclusivement la mythologie, comme on peut le découvrir dans cet article.
Au sein de la planche, les incursions textuelles sont minimes. À part la numérotation des objets, on trouve à quelques rares occasions, près de l’objet dessiné, une dimension, un prix, ou une précision lié à la nature des objets (ainsi dans la série des travaux d’Héraclès le numéro du travail représenté).
Historiques et provenances
Les légendes des dessins peuvent mentionner la collection où est conservé l’objet, parfois avec la date de leur entrée et le mode de leur acquisition : « Trouvé à Crisenon dans la voie romaine de Sens à Auxerre et donné par Mr Edouard Chalins le 2 avril 1845 » (recueil n° 8, pl. 122). Plus rarement, on peut y suivre l’historique des anciens propriétaires (« Sphinx de terre cuite trouvé en Cyrénaïque (acquis par Mr Rollin à la vente Turpin de Crissé) » pour une œuvre qui entre ensuite dans sa propre collection), la provenance archéologique, parfois avec une date de découverte, et l’identité des fouilleurs (voir la partie consacrée à l'analyse des provenances et historiques).
Les références à des publications
On trouve encore des références bibliographiques, qui indiquent l’ouvrage où Muret a copié son dessin, pour 87 dessins (« Hébé. Tiré de la planche IV de l’ouvrage de Gerhard, Choix de peintures de vases grecs. », X pl. 94). Ces références renvoient à des publications entre 1639 (une stèle votive issue de Jacobus Philippus Tomasinus, De Donariis ac Tabellis uotivis liber singularis, 1639, III pl. 37) et 1855 (Muret dessine beaucoup d’objets publiés par le comte Alexis Ouvaroff, Recherches sur les antiquités de la Russie méridionale et des côtes de la mer Noire en 1855, mais ne le mentionne que pour une figurine). Notons d’ailleurs qu’il reçoit l’archéologue russe pour lui montrer les pierres gravées et les médailles d’Olbia le 26 février 1861.
Si on retrouve plusieurs fois les publications d’E. Gerhard ou de l’Instituto, les renvois les plus nombreux sont à la Description des pierres gravées du feu Baron de Stosch, publiée par J.J. Winckelmann en 1760. Cet ouvrage, qui est vite devenu une référence pour la glyptique antique, ne possède pourtant aucune illustration : mais il a rapidement été accompagné de boîtes de moulages d’empreinte de ces intailles, qui proposaient ainsi un complément indispensable offrant une copie en trois dimensions des pierres, avec renvoi au catalogue de 1760. Le Cabinet des médailles possédait bien sûr ces tirages, notamment un ensemble de cinq coffrets de bois contenant en tout 3442 moulages en plâtre, sans doute dû à Carl Gottlieb Reinhardt vers 1821 (voir l’article sur la glyptique).
Des mentions diverses
Parfois, des livres sont cités pour donner une comparaison à l’œuvre dessinée ; ainsi, le commentaire d'un guttus renvoie, pour le sujet représenté, au catalogue de la vente Durand de 1836 :
Victoire immolant un petit cochon. Voyez Cat. Durand n°1660 et 1661 les réflexions de Mr De Witte sur les sacrifices des petits cochons pour le rachat des enfants.
Il est intéressant de noter que la figurine 1660 de la vente, un petit enfant sur le dos d’un cochon (non dessinée dans le recueil), acheté par son frère Durand-Duclos, se trouve ensuite dans la vente de la collection Magnoncour en 1839, où elle est acquise par Rollin, pour finalement arriver entre les mains de Jean-Baptiste Muret ; elle fait partie de l’ensemble vendu par son fils à Morel-Fatio et aujourd’hui au musée de Lausanne (voir l'article sur la collection de Muret). La figurine semblable 1661 est achetée en 1839 par Rollin dans le même lot ; on perd ensuite sa trace.
Un vase en forme de grappe anthropomorphe est légendé :
Staphylé, nymphe que Bacchus métamorphosa en grappe de raisins. Vase de terre cuite tiré du Cabinet de Monsieur le Chevalier de Palin. Ampélos … Voyez la même représentation : Specimens of ancient sculpture, vol. II, pl. L.
Il s’agit de l’ouvrage de R. Payne Knight paru en 1835 à Londres, et il servait à établir, à travers la comparaison avec une sculpture de style et de sujet tout de même très différent, le sujet du petit vase, Ampélos, ensuite corrigé en Staphylé, deux personnages liés à la mythologie de Bacchus.
Muret signale encore un passage d’un auteur classique à propos d'une représentation de sirène :
Figure moitié femme et moitié oiseau tenant dans son bras droit un enfant endormi et sur le gauche un enfant noir qui semble aussi dormir. Ils ont tous les deux les jambes croisées. Ces enfants sont le sommeil et la mort avec la nuit qui est leur nourrice (sujet représenté sur le coffre de Cypselus. Voyez Pausanias C. p. 132).
Comme on l’a déjà noté, les indications de mesure sont très rares, avec des proportions ou des dimensions, comme pour ce relief ou cette statuette de bacchant. On trouve une mention de prix pour une petite partie des oeuvres (voir l'article sur les historiques).
Enfin, on trouve seulement deux mentions d’objets inédits : le troisième objet de cette planche est une « Représentation symbolique de Mercure criophore pied ailé de Mercure portant la tête du bélier dessous le pétase. Pâte noire inédite de Thédore Panofka » et le premier de ce petit vase plastique un « Vase formé par une amande, garni d'un goulot et de deux anses. Trouvé à Egine. Inédit. »
Quelle que soit la nature de l'information portée, le texte est toujours secondaire dans les planches, qui semblent à cet égard davantage l'oeuvre d'un dessinateur-archéologue que d'un archéologue-dessinateur.
Cécile Colonna
Pour citer cet article : Cécile Colonna, « La place du texte », dans Digital Muret, mis en ligne le 03/10/2022, https://digitalmuret.inha.fr/s/digital-muret/page/place_texte
Lire la suite : Les choix de représentation chez Muret : vers un dessin archéologique.